Dis, comment on fait des pruneaux d’Agen ?

Prune d'Ente

Savez-vous qu’il y a autant de producteurs de pruneaux à Agen que de producteur de choucroute à Montpellier ?
Et pourquoi est-ce que le pruneau rentre dans la composition du traditionnel Far Breton alors qu’il n’y a absolument pas de production de pruneaux en Bretagne ?

Tout ça, je vais vous l’expliquer.

J’ai eu l’opportunité de partir dans le Sud-Ouest de la France, en Lot-et-Garonne pour découvrir comment on fabriquait les pruneaux d’Agen. Cela peut surprendre, mais je suis toujours partante pour comprendre comment on fait les choses. Et pour pouvoir bien vous les expliquer, je vais d’abord vous faire un brin d’histoire.

Quelques chiffres pour commencer
En 1900, on produisait en France 60 000 tonnes de pruneaux. La culture du pruneau à disparu avec les guerres, les producteurs de l’époque étant de nombreux tous petits producteurs qui ne produisaient qu’une 50aine de kilos avec 4 ou 5 pruniers. Ce n’était pas des vergers mais des cances (patois).
Ces producteurs sont partis défendre la France, ils sont partis avec leurs connaissances et leur savoir-faire.
Il a fallu attendre les années 60, et la fin de la guerre d’Algérie pour que la culture du pruneau retrouve ces heures de gloire. Les Pieds-Noirs arrivent avec leurs connaissances des grands vergers. Ils replantent et créent de vrais vergers. La production remonte petit à petit pour retourner à 60 000 tonnes dans les années 1990/2000…

Aujourd’hui, la production est autour de 35 000 tonnes. Le différentiel s’explique majoritairement par la concurrence internationalle. Les États-Unis et le Chili ont massifié leur production, créer de véritable industrie du pruneau… Les chiliens produisent mais ne consomment pas le pruneau : il s’agit seulement d’une production destinée à la revente. Ce n’est pas la même technique de production, ni même le même produit, en raison du climat très différent : La variété de prune est la même mais sa peau est plus épaisse en raison de la chaleur. L’irrigation des vergers est artificielle, la chair est donc différente, avec moins d’adhérence du noyau (permettant un dénoyautage plus facile).
L’IGP protège l’appellation “Pruneau d’Agen” en Europe mais pas en Amérique, donc les chiliens appellent leur produit “Pruneau d’Agen” alors qu’il est différent du Pruneau d’Agen français. Heureusement, les produits chiliens vendus en France sont sous couvert de la législation.

Prune d'Ente

Un peu d’histoire…

Villeneuve-sur-Lot est la capitale du Pruneau d’Agen. Et non pas Agen. Mais pourquoi dit-on “Pruneau d’Agen” alors ?

Pour cela, il faut revenir quelques dizaines d’années en arrière, à l’époque où la voie maritime était encore une importante voie commerciale. Le pruneau est lié au monde marin pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’était un produit qui était utilisé par les marins car le pruneau a (entre autre) pour vertus d’éviter le scorbut, qui était une maladie que les marins souhaitaient éviter… Pour conserver la prune, il fallait la faire sécher. En effet, la prune ne se conserve pas très bien, il fallait donc la faire sécher pour la garder.

Les marins du Sud-Ouest ont donc embarqué leur pruneau sur leur navire et… évangélisé le monde marin ! Cela explique, par exemple, pourquoi le pruneau fait partie de la culture gastronomique de Bretagne, dans le far par exemple, la Bretagne étant à l’origine un pays de marins.

Le pruneau était transporté par cabotage. Le port le plus proche de la région de culture était le port d’Agen, sur la Garonne puis sur le canal. Les pruneaux étaient transportés dans des caisses, avec écrit “pruneau” et estampillées du port de départ c’est à dire… Agen ! Et c’est comme ça que l’appellation “Pruneaux d’Agen” est née ! Des années plus tard, le transport par voie terrestre a remplacé les voies maritimes suite à l’arrivée de la voie ferrée à Agen.

Je vous rassurer, si vous allez à Agen, vous pouvez acheter des pruneaux… Je vous en parle plus bas !

Verger de pruneau

La transformation de la Prune d’Ente en Pruneau

Nous avons commencé notre tour de découverte du pruneau par le producteur Stéphan Auneau. Ce producteur possède 80 hectares de prunier et est à la pointe de la recherche pour maximiser et valoriser sa production. Une belle démarche. A travers sa production, nous allons voir comment passe-t-on du prunier au pruneau.

Étape 1 : La cueillette

La prune est cueillie, comme je vous le disais plus haut, en 5 ou 6 passages par année. La méthode classique, c’est la cueillette avec ces gros tracteurs ci-dessous qui récupèrent les prunes qui tombent de l’arbre après qu’il soit secoué pendant 2 à 3 secondes. Cette méthode permet de cueillir une partie des prunes mais présente des inconvénients d’après le producteur : la secousse est mauvaise pour les racines, même si elle dure très peu de temps, en fonction du sol cela peut créer des lésions dans les racines. Ces secousses peuvent également entrainer des problèmes au niveau de son pédoncule. La prune peut ne pas tomber mais cesser d’être nourrie et ne finalement plus mûrir sur l’arbre. Et enfin, cette récolte entraine des fruits qui tombent au sol et qui ne peuvent pas être ramassés, donc de la perte pour le cultivateur.

Il a donc réfléchi à un système, inspiré des anciennes techniques de récoltes pour limiter les pertes et ne pas trop endommager les arbres : des tapis sous les arbres. Ce sont des filets qui ne touchent pas le sol, et qui n’entrainent donc pas de dommages sur les prunes. Les prunes sont donc ramassées au sol avec un gros aspirateur, qui va trier les feuilles et branches des fruits. Cela permet de ramasser bien plus de fruits !

Récolte pruneVerger de prune d'EnteAspirateur à Prune

Étape 2 : La préparation au séchage

Les prunes arrivent sur un tapis et son trier : on enlève les feuilles et les branches. Les fruits les plus abimés sont éliminés. Les fruits sont ensuite nettoyés à l’eau claire pour enlever d’éventuelles saletés. Les fruits sont ensuite placés sur des claies en attendant de prendre un petit coup de chaud.

Nettoyage des prunesLavage des prunesPrune rangées sur des claiesPrune sur des claies

Étape 3 : Le séchage

C’est là que la transformation opère : La prune d’Ente (la seule variété a supporté le séchage) passe de prune à pruneau. Les claies sont placées dans le four pour être séchées. Elles vont passées 18h à 85°C. Il en reste qu’un pruneau très très secs, ayant entre 21 et 25% d’humidité, ce qui permet de conserver le produit jusqu’à 4 ans dans des frigos adaptés.

Le séchage va vraiment faire réduire la prune. On a un rapport d’1 pour 3, voire 1 pour 4 – En fonction des années, de la météo, et donc du taux d’eau et de sucre dans le fruit, il faut entre 3 et 4kg de prunes d’Ente pour faire 1 kg de pruneaux ! La prune optimale pour un bon pruneau doit être très sucrée, avec peu d’eau.

La majorité des producteurs sèchent les prunes sur place. Peu d’entre-eux vont calibrés les fruits. Cela nécessite un matériel spécifique, une grille avec des trous de différents diamètres, mais cela permet surtout de bien valoriser sa production. Le calibre est fait sur la base de 500g, et désigne le nombre moyen de fruits que l’on trouve dans ces 500g. Pour les pruneaux, le meilleur calibre est 28-30. Ce sont donc de gros fruits.

Voilà donc comment on transforme une prune en pruneau mais… après ?

Four pour séchage des prunesPrune séchée

Pour savoir ce que devient ce pruneau, nous avons visité 2 transformateurs, dont l’entreprise Cotolot. Cette entreprise produit des pruneaux sous sa marque propre mais fourni également des grossistes et des marques de distributeur. Elle produit des pruneaux entiers et dénoyautés.

L’étape clé réalisée chez le transformateur est la réhydratation.

Et là vous vous dites “Mais à quoi ça sert de faire sécher autant si c’est pour réhydrater derrière ?!” – C’est une question de conservation. Il faut que le fruit soit très séché pour pouvoir bien se conserver. Le pruneau d’Agen, pour bénéficier de ce nom, doit avoir une humidité maximale à 35%. Au delà, le pruneau ne peut s’appeler ainsi. Il est donc important pour le transformateur d’être au plus près de 35% d’humidité, pour rester dans l’appellation mais également pour limiter le nombre de produits dans les sachets ! Ce taux d’humidité “bas” va à l’encontre de la tendance actuelle de consommation où le consommateur est en attente de fruits de plus en plus moelleux… Il est donc important de bien valoriser le pruneau d’Agen pour sa qualité !

Chez le transformateur, le pruneau est donc réhydraté pendant environ 30 minutes, en fonction du calibre, dans une eau à 75°C.

Hydratation du pruneau

Les fruits sont ensuite refroidis pour favoriser leur ensachage et permettre aux personnes qui trient les pruneaux d’éviter de finir avec les mains gonflées comme des baudruches à la fin de la journée. Les pruneaux qui ont éclaté lors de cette étape de réhydratation sont triés et mis de côté.

Rafraichissement du pruneau

Tri des pruneaux

Les pruneaux sont envoyés en ensachage, ou alors vont subir une opération de dénoyautage. Les pruneaux vont donc passés dans une machine qui va serrer le pruneau pour pas qu’il bouge, pendant qu’un piston va venir faire pression sur le pruneau pour en éjecter le noyau.

Denoyauteur à pruneau

La part du pruneau dénoyauté est grandissante dans la consommation : cela représente 90% de la consommation sur une consommation mondiale mais seulement 40% seulement en France, cette consommation est néanmoins en forte croissance en France, sur le point de s’équilibrer.

Et voilà ! Vous savez tous comment on passe de la prune d’Ente aux pruneaux !

Et bonus, voici une petite visite de la ville d’Agen, une ville aux couleurs orangées, pleine de soleil !

Nous avons déambulé quelques heures dans les rues d’Agen, le temps de découvrir la ville dans ses grands ensembles, mais également le temps d’apprendre l’origine d’une expression : Savez-vous d’où vient l’expression “Trier sur le volet” ? Rue des Cornières, à Agen, il y avait de nombreux commerçants. Tous les matins, les commerçant décrochaient les volets des murs et les installaient sur tréteaux. Ils déballaient donc leur marchandise sur ces volets, où les gens venaient choisir et parfois… trier ;-)

Boites de Pruneaux artisanaleBoite de pruneaux d’une très ancienne boutique “Paul Boisson”
20 Rue de la Grande Horloge, 47000 Agen

Cathédrale d'AgenCathédrale d'AgenCathédrale Saint-Caprais – Agen

Rues et vieilles pierres d'AgenRues et vieilles pierres d'AgenRues et vieilles pierres d'AgenRues et vieilles pierres d'AgenRues et vieilles pierres d'AgenRues et vieilles pierres d'AgenRues et vieilles pierres d'AgenRues et vieilles pierres d'AgenRues et vieilles pierres d'AgenRues et vieilles pierres d'Agen

Il me reste plus qu’à trouver quoi cuisiner d’original avec tous les pruneaux que j’ai ramené… Je sens qu’il va y avoir du pruneau à Noël !!

19 réflexions au sujet de “Dis, comment on fait des pruneaux d’Agen ?”

  1. J’ai ramené 3 kgs + du jusde pruneaux +de la creme de pruneau, je pense au même endroit le mois dernier. …cet après midi en ouvrant un paquet pourma douce de 2ans qui aime lesbonnes choses je me suis dit qu’un far serait sympa pour le weekend ! !!!

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    • Merci votre reportage m’a fait revivre ma cervelle et ma jeunesse au même temps je vais essayer a transformé des prunes en pruneaux à la maison en suivant votre illustration indiquée dans votre reportage. Amicalement Merci à vous.

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  2. Ce fut une lecture très instructive, je n’en savais pas autant sur le pruneau .. A vrai dire je n’en connaissais que l’aspect, le goût et le nom finalement

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  3. bonjour, l”exploitation productrice de pruneaux d’agen était-elle ouverte au public ? si non, savez-vous quels lieux peut-on visiter à Agen qui parle du pruneau ?
    Merci de votre reportage c’est très intéressant !

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    • Bonjour. Il s’agissait d’une visite organisée, je ne sais pas si cette ferme est ouverte. Je vous conseille de vous rapprocher de l’office du tourisme d’Agen qui pourra mieux vous renseigner à ce sujet.

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    • De grâce non ? ;-)
      (Oui, c’est le souci quand j’écris de long article de fond, je ne prends pas le temps de me relire, voire je ne vois pas les fautes…)

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  4. Sous nos conditions de pression atmosphérique, l’eau bout à 100 degrés. A 175 degrés, c’est une vapeur brûlante que vous auriez.

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